« … oublier l'univers, le trop éloignant Univers, comme aussi le trop gênant
	    intérieur, pelote inextricable de l'intime qui n'a pas de forme. »
	    Henri Michaux, in Poteaux d'angle. 
	  
	    
	    L'œuvre de Jean-Luc Hippolyte est indéniablement introspective, des œuvres
	    les plus anciennes, où « le songe de la raison engendre des monstres », aux
	    plus récentes, caractérisées par une série de portraits frontaux de
	    personnages statiques, aux têtes surdimensionnées par rapport aux corps. 
	  
	    Ces portraits ont gagné en ressemblance figurative, face à l'inquiétante
	    qualité d'inachevé et d'inattendu des figures antérieures qui étaient
	    figures de l'ombre. 
	  
	    Mais la disproportion des corps, leur césure franche et systématique au
	    niveau du col, et leur inscription stricte et figée dans l'espace de la
	    toile, dans un chiasme méthodique entre des fonds quasi abstraits qui ne
	    renvoient qu'à eux-mêmes, et une figuration déconcertante, nous ramènent
	    dans le même monde d'intériorité. Un monde où s'incarnent les rêves et se
	    condensent les phantasmes, puisant leurs images dans les strates du passé,
	    les anciens mythes, les religions, le langage, l'art…
	  
	    Qu'est-ce qui constitue le sujet de ces tableaux récents ? l'artiste
	    lui-même, le personnage représenté sans presque aucune anecdote, dans la
	    fixité et l'immobilité propre au genre du portrait ?
	  
	    En constater le corps scindé en deux parties égales, avec hypertrophie de la
	    tête pour donc, une atrophie du reste du corps, une désynchronisation
	    marquée par une frontière très nette, médiane, porteuse de la signature du
	    peintre. 
	  
	    La tête, macrocéphale, imposante, s'inscrit dans une géométrie coercitive de
	    couleurs séduisantes en camaïeux ou vives comme un habit d'arlequin,
	    géométrie de couleurs chaudes et d'autres, tétanisantes de froideur, dans
	    laquelle s'insère la figure, dans un équilibre caméléonesque des formes et
	    du fond, une intégration forcée et réussie dans cet espace-là. 
	  
	    Et dans l'en de ça, dans la partie inférieure, s'emmanchant sur la tête,
	    végète un corps contrit, malingre, pas développé, englué dans un fond quasi
	    monochrome de couleur fade, ectoplasmique. 
	  
	    Mais l'important est la frontière. C'est là que réside la tension. 
	  
	    Il serait vain d'interroger l'artiste sur ses intentions, sa personne, qui
	    s'essaie, peut-être, à tourner le dos au miroir pour faire face au monde. 
	  
	    C'est dans la confrontation entre ses œuvres en tant qu'objets et la
	    réception qu'en fait le regardeur - « le voyeur métaphysique » de De Kooning
	    -  que surgissent, non pas des réponses, mais nos éternelles et intarissables
	    questions face à « la grande énigme humaine et au secret du monde. »