Choisir, …
Nikon, Canon, Olympus, Sony, etc. Me voilà interrogatif, spéculatif, dubitatif. Quoi acheter pour remplacer mon appareil tombé dans les rochers ? Quel modèle choisir ? J'ai bien examiné les programmes de chacun des candidats. Oups ! pardon ! les notices des constructeurs ; j'ai réuni des publicités, j'ai lu et relu toutes les revues photo que j'ai pu trouver, j'ai même pris des avis lors des réunions photo (mais personne n'a pu me conseiller, tout le monde à un vieil appareil qui doit dater d'au moins trois mois, or moi je veux un nouveau, celui du mois dernier ou, mieux si possible, celui qui va sortir le mois prochain). J'ai fait des tableaux avec des colonnes « pour » et des colonnes « contre ». J'ai fait des efforts. C'est pénible à dire : je crois que je ne m'en sortirai pas tout seul.
Alors je me suis dit : si les personnes du club ne peuvent pas me conseiller individuellement, peut-être que si je demande à chacun son opinion, puis que je réunis tous les avis recueillis, alors de la multitude tombera le meilleur choix. L'idée est que la volonté du peuple maximisera mon bonheur, c'est la philosophie de l'utilitarisme. On est sur des bases solides me semble-t-il. Ouf, me voilà rassuré et je suis parti me coucher l'esprit enfin en paix. Pas de chance ! à peine endormi je reçois la visite d'un diablotin perché sur un baril de poudre qui m'interroge : « tu vas procéder comment quand tu auras ton paquet de bulletins ? Et puis, vas-tu demander un seul choix ou vas-tu demander de classer les appareils par ordre de mérite ? » Puis il allume la mèche de son baril et disparaît dans un nuage de soufre et de pixels brasillants. Je me suis réveillé.
Mes yeux papillotent comme la mèche qu'il y a derrière et je me souviens de discussions de jeunesse autour des théories du vote prisent en temps que droit constitutionnel en relation avec les sciences politiques (si, si) et les mathématiques. Mon idole, déjà à cette époque était Condorcet, vous avez pu vous en rendre compte lors de mon discours d'inauguration du salon, fin 2012. Pionnier de l'étude mathématique de la démocratie, il a toujours fait partie de mes héros, avec Lavoisier d'ailleurs (allez voir du côté de l'agenda de réservation du numérique). La Révolution zigouillera les deux, la République n'avait pas besoin de savants.
Avec le fantôme de Condorcet me revient son système de vote que d'aucuns pensent être parmi les meilleurs : il suffit de mettre ses choix par ordre de préférences : Nikon > Canon > Olympus > Sony > Pentax par exemple. Après il n'y a plus qu'à faire des statistiques de rang (c'est le terme consacré) pour trouver le gagnant. Du temps de Condorcet c'était pratiquement impossible dès qu'il y avait beaucoup de votants, une centaine, mais maintenant avec nos ordinateurs cela ne pose plus tant de problèmes. La communauté Linux ne vote que comme cela. Ce système de vote avait la faveur du photographe portraitiste, et mathématicien, Charles Dodgson, mieux connu sous le nom de Lewis Carroll, qui a publié de nombreux fascicules sur les méthodes Condorcet.
La mèche flamboie toujours et éclaire le critère de Condorcet qui permet d'évaluer le bien-fondé d'un système de vote : s'il existe un candidat qui, confronté à tout autre candidat, est toujours le gagnant, alors il doit être élu.
Cette fois je suis bien réveillé et je m'en vais relire les théoriciens du choix social qui me disent qu'aucun système de vote ne peut remplir la totalité des 5 critères suivants :
On ne discute pas, c'est le théorème d'impossibilité d'Arrow (qui lui fit gagner le prix Nobel d'économie en 1972). Aussi costaud que le théorème de Thalès (un autre de mes héros). Il n'y a pas de système parfait. Choisir un système de vote, c'est choisir le, ou les, critères qu'on ne respectera pas. On ne pleure pas non plus.
Alors que faire si ce n'est, en désespoir de cause, passer en revue ce qui existe ? Cela permettra au moins de s'exempter de la poésie.
Vote uninominal majoritaire à un tour : chaque vote porte sur un seul nom, le gagnant est celui qui a le plus de voix. C'est simple et rapide et c'est utilisé par toute l'Amérique du Nord, Canada et États-Unis, le Vénézuela, le Mexique, le Royaume-Uni, l'Islande, l'Inde, une dizaine de pays d'Afrique et OIT pour la sélection de son thème du Salon de fin d'année lors de l'Assemblée générale (n'est-ce pas ?).
Vote uninominal majoritaire à deux tours : après le premier tour on prend les deux, trois ou plus premiers (cela dépend de la Constitution ou du règlement intérieur, ce n'est pas à l'ordre du jour chez nous (pour l'instant ?)) et on effectue un deuxième vote, cette fois-ci, uninominal majoritaire à un tour. On trouve ce système en France, en Afrique francophone, en Autriche, Bulgarie, Finlande, Portugal, Russie, Roumanie Ukraine et la plupart des pays d'Amérique latine.
Vote alternatif : sur chaque bulletin, les candidats sont classés par ordre de préférence, le dépouillement est complexe, une espèce de vote majoritaire sur le mieux classé, puis sur le deuxième mieux classé, etc. L'avantage est que le gagnant est choisi sans avoir besoin de revoter, il n'y a donc qu'un seul tour. Cela fonctionne en Australie.
Un grésillement de la mèche me rappelle que le vote alternatif et le vote uninominal à deux tours ne respectent pas le critère de Condorcet ; j'entends le diablotin rigoler.
La méthode de Borda (un adversaire et ami de Condorcet, membre comme lui de l'Académie des Sciences) ressemble au vote alternatif mais au lieu de faire des statistiques de rang on donne des points à chaque candidat, pour chaque bulletin : 1 point au dernier classé, deux points à l'avant dernier, etc. On pourrait faire cela pour classer nos photos pour le Salon, c'est une méthode très ancienne qui a été utilisée par le Sénat Romain jusqu'en 105. Elle est très utilisée aux États Unis pour élire le meilleur joueur des ligues de baseball ou encore l'équipe championne de football américain. En France, l'Académie des Sciences la pratique depuis 1770, bien sûr, et la Slovénie l'utilise pour les élections au Parlement.
La méthode de Condorcet est un système de vote dans lequel il n'y a pas toujours un vainqueur, alors Nicolas Tideman (un membre imminent de l'Institut des Droits de la Terre, professeur à Harvard entre autres) a conçu en 1987 la méthode de Condorcet avec rangement des paires par ordre décroissant. C'est ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle pour respecter le vote de chacun. Ce n'est pas facile à programmer, mais on peut l'utiliser pour le dépouillement du Tiercé de notre Salon de fin d'année.
Les scrutins majoritaires plurinominaux ne nous concernent pas ici, je ne vais pas acheter deux ou trois appareils, n'est-ce pas ? Je ne considèrerai pas non plus le scrutin uninominal majoritaire à trois tours (majorité absolue requise aux deux premiers tours, majorité relative au troisième), qui depuis 1789 concourt aux élections des présidents de nos deux Assemblées. Je ne vois pas ce que cette fioriture m'apporterait pour résoudre mon problème immédiat.
Il y a aussi l'élection stochocratique, me hurle le diablotin, comme il y a 2500 ans en Grèce ou comme aujourd'hui certaines élections au Québec ajoute-t-il en s'étranglant de rire.
Je laisse tomber. La fumée de la mèche me pique les yeux, il va falloir faire un choix parmi toutes ces méthodes permettant de choisir, avant que l'étincelle n'arrive au baril de poudre. Le diablotin ricane toujours.
Je crois que je vais rester fidèle à Condorcet comme on reste fidèle à ses premières amours. Seulement pour le principe, car je viens de me rendre compte que je dois bien avoir vingt kilos de matériel Nikon et que donc je n'ai pas tant de choix que cela, si tant est que j'en aie jamais eu un.
Je vais retourner me coucher, le pays des merveilles n'est pas loin. Je n'entends plus le diablotin.
Nous sommes le 21-11-2024 à 10h49
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Révision du 07/04/15 17:01