Édito de juillet 2008 [ Précédent | Textes | Suivant ]

Où on parle encore de lecture d'image …

 
Car nous en sommes bien là, nous qui montrons nos images et regardons celles des autres, que ce soient celles de nos consoeurs et confrères du club ou bien celles de ces photographes de tous horizons artistiques accrochés aux cimaises de l'Imagerie, de Cavan, du Pixie, du café Théodore et du Casse-Graine café comme c'est le cas cet été.

D'après les réflexions que j'entends lors de notre habituelle lecture d'image mensuelle, ou dans les salons, photothèques et autres lieux proclamés de culture, il semblerait qu'un secret permette de réaliser des oeuvres géniales dignes de passer à la postérité, une espèce de machine énigmatique qui fasse qu'à chaque fois que le bon bouton est pressé, une bonne image est réalisée. Il existerait aussi, paraît-il, un avatar plus cartésien de cette machine qui serait une méthode, une formule, voire un algorithme, permettant de décrire une image afin de l'estampiller comme bonne ou mauvaise.

Eh bien, après un demi-siècle d'expériences ou presque, ma conviction est qu'il n'y a pas de secret autre que travaillez, prenez de la peine, c'est le fonds qui manque le moins comme nous l'enseignait le fabuliste !

Allons-y dans l'ordre.

Tout d'abord, partons de la possession d'un instrument facteur d'art, en l'occurrence un appareil photo, et à ce moment de la démonstration ne chipotez pas sur argentique ou numérique, appareil qui est l'homologue en musique du piano, si vous chipotez, prenez le violon alors. J'appuie sur le bouton et l'appareil fait ce qu'il doit faire à son niveau, qu'il soit compact ou Steinway, Hasselblad ou Piccolo. Les premiers sons que je produirais ne pourraient soulever les foules, vous en conviendrez, quelle que soit la précocité du génie que vous me prêteriez. Conclusion : il me faut faire des gammes jusqu'à ce que mes doigts soient si déliés que je n'ai plus à penser à ce que je veux produire, image ou son. Donc, bosser, comme le soutenait le laboureur.

Des images, depuis Niepce et Daguerre (1830 quand même), il s'en est produit des quantités proprement astronomiques, et un nombre aussi astronomique de photographes s'est interrogé sur le pouvoir d'expression de la photographie et ses possibilités. Ce n'est pas la peine de marcher sur des chemins mille fois parcourus alors qu'ils sont précisément cartographiés depuis si longtemps. Ces cartes existent, elles sont dans toutes les bibliothèques et on en trouve même en librairie. Les plus récentes s'écrivent aujourd'hui même dans les galeries et les festivals. Il est important de les lire, du moins une partie, et cela prend du temps. Bosser encore. Et en plus cela coûte du pouvoir d'achat, un fonds qui manque souvent.

Si la culture s'attrape facilement puisqu'il suffit de bosser plus pour en gagner plus, elle ne me permet en l'état actuel que de savoir et non de comprendre. Machin a été exposé au Réverbère, la photo de Bidule s'est vendue 3 millions d'euros chez Drouot la semaine dernière, c'est du savoir historique ; tout comme est du savoir, technique celui-là, le fait de reconnaître un tirage Fresson ou à la gomme bichromatée. Par ailleurs comprendre l'image de Machin ou celle de Bidule est hors de ma portée car les dés sont pipés. Déjà quand l'image arrive au fond de mon oeil, elle est traitée d'une façon que même Photoshop ne sait (saura ?) pas faire : contraste local par ci, détection de contours par là, lissage par ailleurs et détection de nouveauté, question de survie. Plus loin, dans mon cerveau qui n'a jamais été conçu pour cela, ou alors l'ingénieur était bourré, un rappel associatif de toute ma mémoire frotte l'image nouvelle à tout, ou presque, ce que je connais déjà : plage, sexe, soleil, E=mc2, Avedon et le noir né esclave ; et je passe comme vous l'avez compris au moins un milliard de références, toutes en même temps, car nous ne fonctionnons pas comme des ordinateurs.

Alors, comment voulez-vous que l'image que je perçois (pas vois, hein ?) soit identique à celle que vous percevez ? Et puis comment mettre en équation (comprendre absolument) les images de Gilbert Garcin, par exemple, où l'auteur se met en abyme via des photos de lui découpées aux ciseaux ? Il n'y a pas de pierre de Rosette qui me permettrait de comprendre toutes les images, car chacune est auto-référente et ne parle que d'elle-même, dans sa propre langue. Quelquefois, lorsque j'en comprends quelques mots et que je lui devine un sens, alors j'aime. Je peux aussi me risquer à expliquer pourquoi et, s'il n'est pas évident que vous partagerez, nous devrions nous enrichir de la discussion. Il n'y a pas d'analyse syntaxique qui puisse faire comprendre les mots de la comtesse ou l'image d'Avedon.

Si le réchauffement climatique ne nous mange pas, peut-être y aura-t-il dans beaucoup d'années des humains capables de comprendre une image et d'en avoir des avis concordants, mais je soupconne une impossibilité logique fondamentale, ce qui ramènerait tout cela à une affaire de cœur. On n'est donc pas sorti de l'auberge. Alors, en attendant, retournons à nos gammes et dans nos lectures d'images du deuxième mardi essayons de voir (pas percevoir, hein ?) ce qu'il y a dans l'image que le/la gentil(le) animateur(trice) nous propose.

Bonnes vacances et bonnes (si,si) photos, bonnes vidéos et bons diaporamas !
 

Daniel Collobert
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