Le paysage contemporain, …
N'est-ce pas plutôt
le paysage
qui doucement traverse
le chat ?
(Jacques Bohm)
Le paysage est un sujet rebattu depuis le début de la photographie, la première photo n'est-elle pas celle que Niepce enregistra de sa fenêtre en 1826 (ou 1827, on ne sait), un paysage urbain ?
Mais le paysage est aussi un genre constamment revisité, qu'il soit proche ou lointain, habité ou désert.
D'ailleurs, a-t-il une existence en soi ? Faut-il à son sujet rouvrir les conflits entre Hegel et Heidegger ?
Le paysage ne dépend-il pas pour se réaliser d'un observateur qui, fort de son point de vue, de sa sensibilité et de son histoire le fera venir au monde ? Avec tous les êtres qui le peuplent ?
Faut-il, en sus de Kant, convoquer la notion de réel pour le cerner ?
On dit de Augustin Berque, professeur à l'Institut d'Urbanisme de Paris, que c'est un actif théoricien et propagandiste d'une géographie culturelle (Voir), et on a raison.
Pour Berque le paysage est simultanément une perception, une pratique et une conception. Il est donc à l'intersection de trois composantes :
Voyons voir.
En évacuant beaucoup de choses sous le tapis, on peut affirmer que la photographie de paysage qui se développe après Niepce hérite d'une esthétique construite par la peinture. Ce qui nous conduit immédiatement à nous pencher sur le passé de celle-ci.
Le paysage a été inventé en Flandres à la fin du XVᵉ siècle lorsque les peintres flamands se mirent à rechercher plus de réalisme dans leurs représentations qui jusqu'alors relevaient du symbole, éventuellement religieux, ou de l'évocation. L'arbre n'était que l'idée de l'arbre, la montagne n'était que l'idée de la montagne, et c'était très bien comme cela.
On trouvera ainsi, chez Brueghel dès 1550 par exemple, des paysages d'hiver d'une précision faussement naïve dont l'école de Hlébine en Croatie perpétue l'idée, des dessins quasi photographiques où humains et animaux fourmillent. Cette peinture consacrée et archétypale va imprégner notre culture occidentale et bien malin qui s'en détachera.
Charles Nègre, en 1850, 300 ans plus tard, rajoutera la notion de pittoresque à celle de précision quitte à sacrifier la seconde au profit de la première.
Les touristes étaient nés.
Mais les photographies étaient réalisées et vendues, surtout en tant que modèles d'inspiration, voire de modèles à copier, pour les peintres. La technique de son époque ne permettait pas facilement de fixer sur la plaque des êtres vivants et donc, nécessairement, les paysages étaient vierges d'humains. La déficience s'est insidieusement érigée en norme esthétique.
Le pittoresque qu'il soit ancien ou contemporain, se développera beaucoup grâce aux cartes postales qui élaboreront de facto une certaine idée du paysage urbain, péri-urbain, rural ou sauvage, façonnant par-là même une culture du paysage. Sans humains ni animaux comme si le photographe voulait s'approprier le site en tant que son patrimoine tout en lui dénigrant le droit à l'histoire.
Pour ce qui concerne les temps modernes, jusque dans les années 70 le paysage était le domaine des géographes et des architectes qui œuvraient dans l'urbanisme. Il se créait à l'Université de Brest une chaire de Géoarchitecture, c'est tout dire ; l'enseignement perdure et a fait des petits partout dans le monde.
Une certaine photographie contemporaine se déclare de manière fluctuante entre art et document, traitant du paysage comme d'un environnement, avec ses connotations politiques (au sens étymologique) plutôt que poétiques, questionnant plutôt que affirmant, éventuellement témoignant, dénonçant.
Les paysages sont souvent éclatés et la relation symbiotique des humains à la terre se montre en négatif, se
pose en divorce, se décline en tension conflictuelle entre ville et campagne. Depardon, meurtri dans son être,
y a excellé. Le paysage est à la fois le lieu cartographié et le lieu existentiel, c'est
l'écoumène de
Berque,
ou encore : accrochez-vous au pinceau, la modernité enlève l'échelle !
(Voir)
Nous sommes le 03-12-2024 à 17h40
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Révision du 16/05/13 23:47